Nous appellerons Pierre le sympathique ulmiste qui m'a raconté son histoire.

Pierre a découvert l'ULM au début du troisième millénaire. Le pendulaire l'a séduit au point qu'il passe son brevet et achète une machine, basique et d'occasion, mais en bon état. Il vole assez peu car son boulot l'accapare. Il vole peu, mais bien. Ou plutôt efficacement. Car il se fait extrêmement plaisir à chaque sortie. Une demi-heure, voire une heure, à profiter du ciel, seul à bord de sa machine. Il choisit les meilleurs journées, vole plutôt le soir, pour s'épargner le vent et les turbulences. Son truc à lui, ce n'est pas le sport ou les émotions ; c'est juste voler et voir la Terre d'en haut...

C'est ainsi qu'un soir d'été, après son p'tit tour de plaisir, Pierre a rejoint la planète avec moins de soin que d'habitude. Un peu de gradient, peut-être une bourrasque... Il n'explique pas pourquoi ni comment il a raté son atterrissage. Le zinzin est parti en zig-zag avant de finir sur le côté. Quelques tubes tordus, tout au plus mille euros pour réparer le pendule.

De son côté, Pierre s'est fait, outre une belle frayeur, une foulure au poignet et pété deux doigts. Son casque lui a bien protégé le visage et le crane.

Rien de grave direz-vous... Pas pour Pierre qui s'est collé une trouille carabinée. Au point qu'à peine réparé, le pendulaire a été revendu. Depuis, Pierre ne vole plus et ne fréquente plus son club.

A mesure qu'il me raconte son histoire, je prends conscience que nous sommes tous différents face aux événements violents ou inattendus qui émaillent notre vie. Certains pilotes plantent maintes machines sans se prendre le chou. Ils semblent comme ''extérieurs'' à leur accident. Et d'autres, comme Pierre, réagissent par le rejet.

J'ai moi-même expérimenté ce trouble. Auteur d'un high strike en moto sur circuit de vitesse dans le cadre de mon job, un peu fracassé à l'atterro', j'ai mis plusieurs mois avant de retrouver mes chronos de référence et l'aise qui me caractérisait. J'ai eu peur, sans doute, mais surtout je n'ai pas compris la cause de cette gamelle. Du coup, je la voyais revenir sans cesse, comme une sorcière aux dents vertes.

Mais au final, je me suis relevé. Sans oublier l'accident, mais en prenant soin qu'il ne se reproduise pas, et qu'il n'encombre plus mon esprit plus tard. Ce fut mon choix, comme ce fut le choix de Pierre d'arrêter de voler. Il n'y a pas de bon ou de mauvais choix en la circonstance. Il n'y a qu'une réaction personnelle basée sur sa propre histoire, son métabolisme ou sa faculté à ''encaisser''.

Je suis toutefois triste que Pierre ne vole plus. Car de son propre aveu, si voler ne lui manque pas, il n'a jamais éprouvé de plaisir plus intense que lors de ses escapades aériennes. Il n'a jamais fait de longs vols ; pas d'aventures extraordinaires... Pour lui, le plaisir consistait seulement à s'élever dans le ciel et regarder la Terre d'en haut.

Je souhaite que Pierre retourne un jour en altitude, même simplement comme passager, pour jouir à nouveau de la sensation magique de voler.

Bons vols

Miguel Horville.