Imaginons un scénario. Tu voles tranquillement en ULM, dans une région à faible densité humaine ou infrastructurelle, quand tout à coup le moteur merdouille. Pas la panne franche qui fait te crisper aux manettes, juste un merdouillis clapioteur annonciateur de bricoles peu folichonnes.

Et pile-poil parce que t'es un pilote ô combien prudent, ou parce que t'as une veine de cocu, une vache confortable s'offre sous tes roues. Là, on est dans le bon cas de figure. Quand une fée a chéri ton berceau.

Toujours parce que tu as bien tout écouté les conseils à propos de l'atterrissage en campagne, et que t'es le couteau affûté du tiroir, section bonnes lames, tu décides, en dépit de la ratatouille, de faire un passage de reconnaissance, cherches les pièges, les pierres, les taupinières, un violoncelle égaré, un hippopotame ou que sais-je, un missile iranien oublié par un bidasse étourdi du tsar.

Comme t'as pas la vision de Superman, tu fais cela à une hauteur adéquate, c'est à dire sûrement sous la barre des 500 ft.

Et là, pas de bol ! Tu aperçois Chichon-la-vorace en train de butiner son cousin Marcel dans l'herbe fraîche.

Pas question de désorganiser les plans bucoliques d'amoureux consanguins ; tu remets du charbon et cherches un autre lieu pour inspecter ta trapanelle. Ce faisant, tu survoles la Deudeuche au Marcel, lequel n'y pense même pas, tant il est affairé à tenter une reproduction trichromosomiquement hasardeuse. Cela étant, s'en référant aux moutons, il se dit que sur un malentendu, ça peut le faire...

Mais y'en a un qui voit les choses. Qui voit tout. Un qu'a l'oeil de taupe et la pensée délatrice, c'est Jules, ancien d'Algérie, reconverti garde-chasse par manque de courage et de médaille. Lui, c'est la Chichon qu'il guette, braguette parée, à l'affût d'un nichon. Qu'elle se tape Marcel l'ouvrier agricole, ou Robert le fils du maire, du moment qu'elle largue les voiles, y'a bon à mater.

Mais l'événement de l'instant transforme son programme du jour. De pitoyable voyeur, il devient témoin d'une possible infraction : le witness du thriller de Bouzieux-le-bas. De quoi transformer une demi-molle sans avenir en priape extatique. Etre enfin utile à la nation, lui qui ne sait que boire sa minable retraite imméritée.

D'où la déclaration sous serment du pauvre con : si, fait, m'sieur l'agent ; l'avion est passé comme qui dirait à quinze toises de moi... l'a failli renverser la guimbarde au p'tit Marcel... puis s'est allé comme un pet sur une toile cirée ! J'en affirme que c'est ainsi ! J'ai vu sa nimmatriculation que même je l'ai notifiée.

Factuellement, le bougre raconte un réel vécu. Mais sans connaître le contexte qui a engendré cette réalité.

La suite est du ressort de la bienveillance, de la malveillance, de la surveillance. Soit le flic a deux neurones et renvoie le témoin imbibé à sa névrose observationnelle. Soit le flic est un autre aigri de la vie qui attend sa minute de célébrité. Soit le flic est le mari de Chichon-la-gourmande et là... tout peut arriver.

Bref, si poursuite il y a, tu devras expliquer le pourquoi du passage bas hors infrastructure aérodromique et si près de personnes et d'une chariotte abovinée.

Sans hypothéquer la suite, j'ai beaucoup de mal à imaginer un narratif suffisamment crédible pour convaincre un auditoire hostile.

D'autant que ledit auditoire a déjà vu passer ce champion du monde d'hélico classe 6 qui prétexta une avarie mécanique pour justifier un atterro' en bordure d'autoroute, au moment précis où, par une extraordinaire coïncidence, un client à lui prenait possession d'un colis déposé par pur hasard dans ledit hélico (info juin 2015).

L'auditoire en question se dit qu'il faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des lapins de six semaines, et qu'un proc' et deux gradés valent bien tous les lardons du barbu.

D'autant qu'après la ratatouille, le moteur s'est remis à fonctionner normalement et que du coup, t'as décidé de poursuivre ton vol sans autre embarras.

Tu te serais vaché, vautré, crashé, tué même, tout le monde croirait ton histoire. Mais là, pauvre de toi... t'as eu la chance que rien ne se passe. Ce non-événement est un joker qu'il convient de casquer.

Bon... Soyons honnêtes, y'a quand même plus de pilotes intrépido-casse-cou et de menteurs patentés que de situations réellement équivoques.

J'écris TU, mais je pense NOUS, et dans nous, y'a Bob, Roro et y'a bibi itou. Personnellement, je fais tout pour ne pas être confronté à une situation inconfortable. Mais je vole régulièrement, pas toujours très haut, bien qu'en respect des règles, et dans une région où l'agriculture se résume à l'entretien des haies. Alors si une ratatouille se pointe, je serai TU et je chercherai une vache où nul Chichon, Marcel ou Julio jouit ou épie. Et si c'est le cas, je remettrai du charbon et je chercherai un autre coin pour enguirlander mes soupapes.

Alors peut-être qu'un vicelard mâtiné mouchard exposera mon épopée comme un acte délictueux, et je n'aurai d'autre défense que la vérité, laquelle fera sourire l'auditoire qui en a déjà entendu d'autres, et de meilleures.

Au final, c'est triste, d'être certain de n'être pas cru quand on imagine raconter la stricte vérité. Non ?

C'est triste, mais c'est la faute à tous ceux qui sont passés avant pour vendre des salades.

Comme dit Gilou, philosophe-diéséliste et psycho-chaudronnier : le meilleur mensonge reste la vérité ; mais la meilleure vérité n'est-elle pas un mensonge ?

Beaux vols, en finesse, en souplesse, pour le simple plaisir des sens.

Miguel Horville