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Premier lâcher par J. Foucher
septembre 2011 - par Jacques Foucher
Mon lâcher à Chambley
L'apprentissage du vol est une période ponctuée de joies et de déceptions. On se sent prêt un jour, et incertain un autre jour. Jusqu'au moment du ''lâcher'', où c'est l'instructeur qui décide que l'élève peut s'envoler de ses propres ailes. Chacun vit ce moment à sa manière, selon son tempérament et les conditions. Il reste toutefois pour tous un moment intense.
Merci à Jacques Foucher pour son récit
Je dis : NON !
Cela fait déjà pas mal de temps que je suis élève-pilote, instruit par Gilbert, sur la ''moto du ciel'' (voir ''mon premier décollage''). Et je sens venir le moment du ''lâcher''. L'instant troublant où l'instructeur descend de l'appareil et demande de faire un ou deux circuits de piste tout seul. Un circuit de piste, c'est un décollage, une montée, puis une ''vent arrière'' suivie d'un atterrissage. Ce soir, je pars en compagnie de mon fils Marc, pour une leçon avec Gilbert. Je pense en avoir pour une demi-heure. La journée est déjà bien avancée et nous voulons nous adonner à l'aéromodélisme après cette séance. Marc déballe et prépare le modèle réduit en attendant que je décolle. Dans une petite demi heure, nous ferons voler son modèle. De mon côté, je fais quelques tours de piste comme à l'habitude. Cela se passe bien... comme d'habitude. Du moins jusqu'à ce que Gilbert me dise : - C'est parfait : tu vas te poser et je vais descendre. Ma première réaction est de refuser ; tout net ! Je vois les voitures, en bas commencer à allumer leurs phares et je me dis que si pour une raison ou une autre je dois interrompre un atterrissage ''mal négocié'' au prochain tour, la faible luminosité risque de me perturber. Bref nous rentrons et Gilbert ne dit pas un mot... Mon gamin a rangé le matériel de modélisme, persuadé qu'il est trop tard. Ce soir, pas de dîner au club ; mon réflexe de refus m'a perturbé, bien que je sois persuadé d'avoir pris la bonne décision. Suis-je le premier élève à refuser un ''lâcher'' ? Et puis... contredire Gilbert, n'est pas chose facile. Il est également inutile d'expliquer mon point de vue. D'un coup, le piédestal sur lequel j'ai placé mon instructeur commence à se lézarder... J'en parle avec certains membres du club. J'en discute avec mes enfants Aurélie et Marc : cette décision raisonnable pour moi est-elle de nature à mettre en en doute mes capacités ? Une semaine passe, entretenant ce malaise ; je repasse le film dans ma tête au point que cela devient obsédant. Le weekend suivant, Gilbert me redonne une leçon. Puis encore une autre la semaine d'après. Puis le temps vire au moche. Mes proches me rassurent sur ce point : j'ai pris une décision qui est la mienne. Si je ne le sens pas, c'est qu'elle est bonne. Tout autre considération est secondaire, et cela coupe court à toute discussion. Au club, je suis peut-être devenu ''celui qui ne volerait jamais tout seul''.
Au club, avec Gilbert, ma fille Aurélie et les copains... serais-je l'élève qui ne vole pas tout seul ?
Parler seul : à quoi bon ?
Aujourd'hui, sur la grande piste de Chambley, au bout de la bretelle que nous utilisons momentanément, un bus associatif barre le passage. Des gens s'animent autour, des enfants jouent dont un qui pédale sur son tricycle... Le ciel est gris, mais il n'y a pas de vent, pas de turbulence... pas d'air ! Dans de telles conditions, tout le monde sait qu'un élève va être lâché. J'enchaîne les tours de piste en binôme. A un moment, Gilbert me demande : - Avec tout ce bus en travers et les gens sur la piste : que fais-tu en cas de panne moteur ? - Et bien, je passe au-dessus et j'atterris de l'autre côté ! Ma réponse semble le satisfaire. Nous poursuivons l'instruction. Gilbert m'ordonne de poser plus court : j'exécute la manoeuvre. Puis il me demande de freiner fort, d'immobiliser l'ULM et de stopper le moteur. Dont acte. Je ne réalise pas bien la situation, bien que je la pressente, puisque je l'attends... Il descend avec les câbles d'intercom' à la main et m'enjoint de repartir, avec pour seule consigne de répéter tout ce que j'ai accompli jusqu'ici. Une bouffée me paralyse un instant... J'invoque le vent (il n'y en a pas). Mais j'aurais tout aussi invoquer un nuage de sauterelles, la 3e guerre mondiale ou une éclipse solaire... Bref n'importe quelle mauvaise raison pour ne pas y aller. D'un geste, Gilbert coupe ma tentative désespérée... - Ne t'inquiète pas, ça va aller. Imagine que je suis derrière et parle-moi. Je suis au bord de la piste : regarde mes signes (notre ULM n'a pas de radio). Au pied du mur, je rabat l'écran de mon casque, démarre le moteur et répète gestes et procédures comme à l'habitude. La Moto du Ciel décolle, passe la hauteur de 30 mètres, ''franchit'' le bus et le gamin en tricycle. Allégée du poids de Gilbert, l'ULM grimpe beaucoup mieux. Rien que du plaisir. Que je cause à l'instructeur ? Mais je n'ai rien à lui dire ! L'appareil vole impeccablement, les conditions sont idéales, je n'ai aucune angoisse ; qu'irais-je raconter à l'être absent, au risque de passer pour un radoteur ? L'atterrissage se déroule comme à l'exercice, sans problème. Du bord de la piste, Gilbert me fait signe pour que j'enchaîne avec d'autres tours, bras tendu vers l'horizon et l'azur. Quelques tours encore, une très fine pluie se mêle à la fête, qui ne gâche en rien mon plaisir... Base, finale... j'aperçois Gilbert, planté au milieux de la piste avec les bras positionnés en croix, dans une posture qui commande l'arrêt. J'atterris donc pour un complet et m'arrête à sa hauteur. Il a un large sourire, mais ne dit pas un mot. Il grimpe à l'arrière et me demande de le ramener au hangar. Nous roulons ainsi au ralenti, dans la sonorité rauque du VW. Je suis triomphant et partage d'un regard une fierté partagée : lui de m'avoir bien formé, moi d'avoir bien appris de lui.
De retour du vol solo, la moto du ciel devant le ''grand'' hangar de Chambley.
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