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Expériences vécues

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Premier vol solo de E. Cornieux


Le moment de se lancer




L'heure H du jour J

On croirait une imitation de John Wayne du haut de son fier destrier, sauf que personne n'y croit, surtout pas moi. La verrière se referme, avec Thierry dehors, moi dedans, et le X-Air autour. Bon, ben voilà, maintenant faut y aller mon gars, tu vas pas rester là à faire tourner ton hélice au ralenti en attendant que la petite goutte de sueur qui te dévale la tempe soit évaporée ! Demi-tour, je remonte la piste dans un état assez curieux. Difficile de trancher entre l'anesthésie émotionnelle et l'hyper conscience, les deux provoquant une espèce de bulle dans laquelle je ne me sens ni rassuré ni à l'aise, mais qui est mienne, et que rien d'extérieur ne transperce. Un cockpit dans le cockpit en quelque sorte, le premier étant uniquement dédié au pilotage de ma propre personne, gage de la qualité de pilotage du deuxième, ce truc qui va me propulser dans les airs, et qui ne devra faire que ce que je lui ordonne. Trente secondes plus tard, seuil de piste, aligné sur la 35. Freins bloqués, je fais grimper l'aiguille du compte-tours à 3000 tours pour tester les allumages. S'ensuit la litanie de la check-list apprise par coeur mais que je détaille point par point au moins deux fois, au cas où j'oublierais quelque chose. En même temps, c'est pas un Airbus, non plus, mais bon, d'un coup je la récite comme si je me préparais pour un Paris - Tokyo. Contrôle des instruments, altimètre calé à zéro, bille au centre, température d'échappement, variomètre, voltmètre, etc, etc. Tout est vérifié.
Toujours personne assis à côté...





Le moment de vérité

Un coup d'oeil à la chaussette, toujours endormie le long de son mât, cool. Personne autour, annonce radio au cas où quelqu'un serait sur la fréquence, illusion d'un invisible compagnon de route. ''Dun-sur-Auron, de Fox-Juliet Fox Sierra Whisky, pour un décollage sur la 35''. Pas de réponse, le contraire m'eût surpris, et de toute façon je n'attends pas. Pas le temps. La seconde d'hésitation qui se profile est de celles qui durent une éternité et durant lesquelles le doute et l'échec en profitent pour s'installer durablement. Alors dégage, vite ! Le regard loin devant, je pousse les gaz en butée. Le petit moteur hurle tout ce qu'il sait, et la machine se lance rapidement, secouée par les irrégularités du terrain jusqu'à ce que, semblant gommés par la portance naissante, les cahots se transforment en une pente lisse sur laquelle, d'une légère traction sur le manche, j'engage l'ULM vibrant vers l'azur attendu. Un rapide coup d'oeil au tableau de bord : tout est bon. Huit cent pieds, je mets l'appareil en palier, réduis les gaz au régime croisière éco, ose enfin décrisper mes phalanges du manche et tourner la tête vers l'extérieur. Bordel, je vole, et tout seul en plus ! Le ciel est limpide, pas un souffle de vent ; l'ULM vole quasiment tout seul droit devant lui sans dévier d'un iota, c'est du velours.





La réalité est un rêve

Au fait, je suis où, là ? Je scrute le sol alentour pour distinguer un repère familier m'indiquant où je me trouve. Car tout à ma concentration de début de vol je n'ai rien vu de l'environnement. Les roues n'ayant pas quitté le sol depuis plus de deux minutes, je me retrouve vite. D'un coup un doute m'assaille : je suis en l'air, OK, tout se déroule bien, OK, mais, il va falloir revenir ! Là commencent les questions qui mènent au doute : et si je ne savais plus comment on fait ? Et si mon altimètre était déréglé ? Et si j'arrivais trop vite ? Et si j'arrivais trop lentement ? Et si le terrain avait changé de place ? Et si subitement j'avais perdu les neurones qui me servent d'habitude dans cette phase de vol ? Et si ? STOP ! T'es monté jusque là-haut, maintenant tu redescends, un point, c'est tout ! Ah ben oui, c'est pas plus bête, je vais me ranger à cette logique. Cap sur le terrain, légère descente, je veux en avoir le coeur net, je peux le faire où pas ? La réponse est oui, évidemment, je le sais, mais à cet instant précis je ne sais pas que je le sais. Le seul à s'en douter est l'instructeur, qui attend 500 pieds plus bas que le poulain ait fini le tour du pré. L'intégration dans le tour de piste se fait machinalement, comme en école. Je me permets même le luxe de faire mes annonces radio à chaque changement de trajectoire, genre ''moustachu'' qui gère 92 tâches en même temps. Ce sont juste des automatismes acquis s'en m'en apercevoir, ceux qui font qu'au fil des vols on profite davantage du panorama et qu'on est moins cramponné au manche et aux gaz comme une moule sur son rocher. Reste que pour l'heure, la détente n'est pas de mise. Mes roues sont toujours loin du sol. Moteur au ralenti, la machine pique du nez vers le seuil de piste. Je suis dans l'axe, c'est déjà ça. Je joue du manche et des palonniers pour faire coïncider le poser du train d'atterrissage avec un endroit prévu pour ça, je préfère. Le sol monte vers moi, j'arrondis pour un toucher aussi light que possible. L'ULM semble hésiter un moment entre deux éléments, l'air ou la terre. Cabré, semblant refuser le retour au sol, il s'enfonce lentement : ça y est, je roule ! Et alors, quoi : on va quand-même pas s'arrêter là ? Je n'effleure même pas les freins. Gaz de nouveau ouverts en grands, j'efface la piste à 1 mètre du sol et c'est reparti pour un tour ! Je sais maintenant ce que je vais faire là-haut : plus rien à prouver, mais que du plaisir à l'état pur. Celui qui ne se compare à rien d'autre, celui que tout terme ou définition ne peuvent qu'affadir...






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