Journal du geek, début décembre, au poste : Amazon prévoit de faire livrer ses colis par des drones d'ici à 2020. Déjà une société de pizzas a réalisé une tentative similaire, ''un coup média'' comme on dit. Un restaurant servant des sushis accrochés à un octocoptère ; un pressing livrant ses clients par la voie des airs, avec séchage au souffle des rotors... une messagerie livrant ses plis par robot-hélico... un gestionnaire de stocks préparant sa mutation au ''tout-aérien''... Sommes-nous dans un film de science-fiction ? Non. Sommes-nous sur Mars ? Non plus. Sommes-nous en Amérique ? Que nenni ; nous sommes en France, pays précurseur en la matière, à ce qu'il paraît.
Alors je pose juste cette question : où allons-nous, au juste ?
Dans un mur, certes ; mais lequel et pourquoi ?
Alors il me revient en mémoire l'étrange réponse que m'a faite la responsable d'un service technique de pointe, à qui je demandais à quoi servait de faire causer un aspirateur. C'était dans les années 80. En fait, un énorme pari industriel a consisté à développer la ''puce'' qui cause. Mais pour couvrir l'investissement colossal et une mise en production planétaire de la bestiole, il fallait en pré-vendre des quantités phénoménales. Alors, on a cessé de fabriquer les anciennes puces très connes (puisque muettes) pour inonder les marchés de puces magiques. Et tant qu'à faire, cela paraissait ''funky'' de relier leurs papattes à des hauts-parleurs afin de faire blabla dans les zinzins quotidiens. C'était la génération des bagnoles qui racontaient leur vie, des premières pannes incompréhensibles, genre moteurs qui calent sous les lignes à haute tension... Nombre d'entre-nous ont connu la R25 à ceintures bavardes ou la 604 baratineuse. Si nos autos ont appris à tenir leur langue, notre avenir technologique s'en trouva quant à lui définitivement bouleversé.
Et après tout : quel mal y-a-t-il à faire causer une cafetière ?
Objectivement, je n'en vois pas.
Sauf qu'entre temps, la puce a fait des petits. Car donner la parole à un bidule au silicium, c'est rigolo, mais ce n'est qu'une première étape dans l'élaboration d'un joyeux foutoir. Lui implanter un simulacre d'intelligence est nettement plus captivant. Et puis surtout, on prépare le conditionnement global de l'humanité : l'asservissement à la technologie.
On crée donc des besoins débilitants, quand ce n'est juste infantilisant.
Les drones multicoptères sont la dernière génération de gadgets nés de la technologie. Que ton téléphone prépare la bouffe à distance est devenu has-been au dernier degré ! Le dernier cri du ché-bran, c'est de faire voyager les objets à quelques mètres du sol.
Personnellement, j'envoie régulièrement des machins dans les airs. Machins qui, jetés avec plus ou moins d'adresse, se fracassent lourdement au sol, quand ce n'est dans la poire de leur destinataire. J'appelle cela l'aérotransport approximatif.
Des fois, ça marche ! Le marteau arrive à destination sans émietter une mâchoire. Mais souvent, ça rate.
Donc pour en revenir à nos robots multicoptèrisés, l'industrie envisage très sérieusement de les envoyer parcourir la planète pour des tâches d'une inutilité fracassante. Pourquoi ?
Parce que ce faisant, on ''démocratise'' les trucs qui volent (rappelez-vous la pupuce parleuse). On développe la technologie, améliorant le guidage, l'autonomie, les performances... On devient précis et rapide. Et pour ce faire, on intéresse un maximum d'acteurs.
J'y vois trois raisons : développer à moindre coût (économie d'échelle) des technologies qui, une fois adultes, seront reprises et généralisées ; baisser le coût du transport (pression pour soumettre les messageries), et accessoirement tester l'acceptation des populations survolées par ces insectes géants.
En toile de fond, j'y vois les lobbies militaires et policiers, pour qui le renseignement et la surveillance sont essentiels à la réussite de leurs missions.
Et pour que tout cela soit encadré, l'administration a légiféré, notamment au printemps 2012, imaginant une réglementation ''ouverte'', qui fait souvent référence aux dérogations, (au cas par cas pour reprendre les termes de la DGAC), prenant ainsi des devants d'une ingénierie débordante d'imagination.
Pour schématiser, le législateur considère qu'il existe 7 catégories d'aéronefs télépilotés (de l'aéromodèle d'une masse maximale de 25 kg au matériel volant d'une masse inférieure à 150 kg) et 4 scénarios de missions (du vol en vue directe dans un rayon de 100 m au hors vue directe en passant par le survol de populations...). Par ailleurs, les opérateurs doivent figurer sur la liste établie par la DGAC. Les télépilotes doivent être titulaires d'une certification officielle théorique minimale commune aux pilotes ULM, PPL, hélico', planeur..., disposer d'une DNC, d'un MAP, voire faire démonstration de leur compétence. Les matériels doivent recevoir une attestation de conception de type, voire être certifiés. Selon leur catégorie, ils doivent intégrer des systèmes de secours automatisés ou pilotés.
Pour faire encore plus simple, il est prévu que des aérostats de 25 kg et des aéronefs de 4 kg survolent des populations.
Pour ma part, je prévois de sortir casqué ! Parce qu'à l'instar de la R25 électro-sensible ou de la cafetière farceuse, les bidules à hélices vont immanquablement se répandre ici ou là, voire ici ET là.
Maintenant je reviens sur l'information initiale, à savoir l'utilisation professionnelle des drones, lorsqu'ils remplacent (avantageusement ou non) des modes conventionnels de transport. Et je me pose cette question : ''devrons-nous cotiser davantage à l'UNEDIC pour assurer la pitance de tous les livreurs rendus à leur foyer ?
Je vois d'ici les railleries faciles :
- modèle progressiste tendance mondialiste : ''ah le vieux con ! C'est comme l'époque où on craignait que les ordinateurs fabriquent des chômeurs...''
Ben oui ; ils en ont fabriqué, en très grand nombre d'ailleurs.
- modèle altruiste tendance socialiste : ''peut-être, mais les robots industriels ont soulagé les hommes de travaux pénibles...''
Effectivement, attendre le versement de l'ASSEDIC devant la téloche est moins pénible que d'assembler un châssis de bus.
- modèle fataliste tendance sarcastique : ''c'est le progrès ; il faut vivre avec son temps...''
Erreur : il faut vivre avec le temps de gens très intelligents qui, sous couvert de modernisme, ne pensent qu'à améliorer la productivité en supprimant le maillon merdique du business : l'Homme !
Que ta paire de Zalando arrive dans 2 jours ou dans dix secondes va-t-il inverser la rotation de la Terre ?
Ta pizzacopter aura-t-elle le même goût si le gamin qui la transportait est rendu SDF ?
- modèle sécuritaire tendance moraliste : ''livreur de pizzas est un métier dangereux, c'est mieux pour la société !''
C'est vrai ; les kamikazes en scooter prennent des risques ; mais ils bossent ; ils sont utiles à la société et ne la chargent pas. Le robot volant est 100% inutile à la société. Il est juste rentable pour celui qui l'emploie. Comme les robots industriels, qui bossent à la perfection sans jamais tomber malade, jour et nuit, sans salaire ni revendication : 100% inutiles dans une société qui a besoin d'affairer sa population.
Vision à court terme, ou manque de vision... Tout ce qui compte, c'est de produire des merdes qui ne servent à rien, ou si peu, et qu'on nous impose comme mode de vie en voulant nous faire croire que c'est le progrès. Produire vite, toujours plus et pour moins cher, afin d'enrichir des multinationales dégoulinantes de cynisme.
Et nous, pauvres cons, achetons vite, sans réflexion, consommons comme des veaux des produits marketing labellisés ''vu-à-la-télé'', synonyme de ''gogo''. Demandons la livraison super-extra-express, pour assouvir notre frénésie et précipitons-nous sur la commande suivante.
Le mur est notre cible. Nous y allons à marche forcée.
Alors marre des robots constructeurs, robots démolisseurs, robots réparateurs, robots rangeurs, robots lobotomiseurs... et maintenant robots livreurs.
Client occasionnel de boutiques en ligne, je ne reconnais pas à ces enseignes le droit de faire passer au-dessus de ma tête les colis de ma voisine. Je refuse que mon prochain achat survole la surface pour améliorer le profit d'une marque. Je veux qu'un brave type me livre mon colis ; lui payer un coup et qu'on échange notre humanité en se serrant la louche. Je n'ai que du mépris et un double 12 superposé pour le drone qui déchargera chez moi. Comme à la caisse automatique du super-marché : j'appuie systématiquement sur le bouton d'aide, afin qu'un humain conserve quelques instants encore son précieux emploi.
En revanche, j'accepte que des robots efficaces viennent en aide aux personnes en difficulté. La sécurité civile teste actuellement le largage de bouées par drone... Plus rapide qu'une intervention humaine, complémentaire avec l'action des sauveteurs, ce machin représente un progrès réel sans bouffer d'emplois. Que des robotcoptères cherchent des alpinistes perdus : oui. Qu'ils assurent des tâches dangereuses et non profitables : OUI. Qu'ils amusent les mômes et occupent nos loisirs, oui aussi. Qu'ils renforcent les missions de surveillance et améliorent notre sécurité : pourquoi pas. Mais qu'ils remplacent nos derniers travailleurs : NON.
Ou alors... que chaque salaire perdu à cause d'un robot activé soit compensé par une taxe à la charge de l'entreprise. On verra alors si le progrès passe encore par les automates...
Bien que passionné par les choses de l'air, je pense qu'il est de notre devoir de rester en éveil. Notamment de surveiller avec sang-froid l'intrusion des drones dans notre société.
Il n'y a de progrès que dans l'amélioration de nos vies. Quatre hélices tournant à l'unisson n'en présentent pas la caractéristique. Selon moi.
Volons en paix en 2014, loins de ces niaiseries automatisées.
Miguel Horville
voir l'arrêté du 11 avril 2012
voir le précis des domaines de vol