Il y a des périodes de l'année peu propices aux voyages en ULM. Par exemple en fin d'automne, avec les prémices hivernales.
S'envoler pour de courtes balades ou des tours de piste, c'est sans problème ; mais traverser la France... on y réfléchit à deux fois.
Sauf que... Vous connaissez la rengaine : sauf que... oui, mais...
Donc en cet automne compliqué par des vagues successives de dépressions, de nébulosité et de coups de vent, j'ai ''besoin'' de traverser la France d'Ouest en Est pour découvrir un petit ULM qui me tente bougrement. Une belle occase selon moi ; enfin un engin qui correspond à mes critères et dans lequel je me projette avec force.
''Besoin''... entendez ''furieusement envie'', à la manière d'un mioche capricieux qui trépigne devant la pub d'un jouet incontournable... ou parfaitement inutile.
On est en plein dans la seconde acception, ou la première, ou les deux.
Donc ce besoin impérieux et urgent me pousse à imaginer les diverses solutions pour me rendre dans le Haut-Doubs, le long de la frontière Suisse. Bref en un lieu seulement connu des doubiens et de quelques facétieux douaniers helvètes.
Ma première idée est de prendre le train. Je consulte la senecefe qui m'informe d'un temps de trajet d'une journée, assorti de changements multiples et d'une partie de rigolade en autocar.
Bof...
Seconde hypothèse, la bagnole. Cette fois le GPS est intraitable : pas moins de 8 heures de route, et de la route plutôt tartignole.
Re-bof...
Faire le voyage en ULM est certes la solution la plus logique ; rapide, avec 3 heures et demi de vol, et simple, puisque j'arrive là où se trouve l'objet de ma convoitise.
Sauf que la météo du moment ressemble à une diarrhée d'événements déprimants.
J'entrevois toutefois une fenêtre de tir, un poil risquée, mais faisable. J'en informe le vendeur qui prend ses dispositions pour honorer le rendez-vous.
Jour J : ça le fait pas. Les prévisions étaient foireuses et le ciel m'accable d'orages qui n'existent théoriquement pas en cette saison.
Vendeur averti ; je repousse à plus tard... à jamais peut-être.
Quand même, la semaine suivante, un créneau possible apparaît. Rendez-vous est pris.
Arrive le moment de faire la nav'. La route est simple, mais s'encombre de reliefs non propices aux incidents mécaniques et d'un passage redouté dans le Sud du Morvan, l'usine à brouillard du bon dieu.
Et plus je trace mes traits, plus je m'ennuie. Et plus la carte se couvre de vecteurs optionnels, plus je m'aperçois que les tronçons sont inappropriés à un vol serein en ULM. Car tout est tangent dans mon log'. Si ça merde ici, par où vais-je me dérouter ? En passant par là, je m'éloigne de vaches pratiques. Oui, mais le tracé ''safe'' est tortueux. Oui, mais il m'autorise des échappatoires dans toutes les directions...
Et soudain, une lumière jaillit dans mon bulbe torturé : et si j'allais rendre visite à mon pote Dédé, dont la piste est distante d'une quinzaine de kilomètres ? Et si partant de chez Dédé, j'allais boire un café avec Paulo, brésilien planteur et proprio d'une bande gazonnée de 250 mètres. Et si partant de là je passais par chez...
Et si je ne me posais nulle part et poussais à chaque étape jusqu'à l'étape suivante ?
La voilà l'idée géniale ! Je ne vais pas réaliser une navigation de 550 km comme mon ULM l'autorise largement avec ses 60 litres de jus et sa vitesse de croisière confortable, mais enchaîner une succession de petits vols ''locaux'' en comptant sur une finesse sous-évaluée pour lisser le méga-zig-zag à accomplir.
Du coup, je ne prépare plus rien, mais mémorise toutes les options offertes dans une bande large de 20 km. Comme chacun le sait, en France on survole une piste ULM acceptable toutes les 5 minutes ; il est donc inenvisageable que je tombe en rade météo ou mécanique sans endroit où me poser.
Et c'est ainsi que j'entame mon premier ''local'' de 15 km, auquel succède un second de 20 km, poussant à 40, 80, puis 100 km, puis 200, 300 et 400 km... Pour finalement arriver à destination après 3 heures et 45 minutes de vol, contre 3 heures 30 minutes estimés sur un tracé rectiligne.
Je n'affirmerai pas que les conditions sont toujours CAVOK ; je perturbe parfois la nébulosité et dérange épisodiquement quelques bigleuses tunnelières. Une fois ou deux je jardine entre des monts pour projeter la meilleure trajectoire de sortie, mais...
... un quart d'heure de perdu... la belle affaire ! Souvenez-vous votre premier cours de pilotage : l'avion est un véhicule rapide pour des personnes peu pressées...
J'avais prévu un duvet -8°C et quelques effets en cas de problème. Ce serait bien le diable qu'un proprio de piste ULM ne m'autorise pas à dormir dans son hangar. Mon zinzin pourrait même y dormir aussi.
Reste le problème des autorisations préalables aux arrivées en vol. Va-t-on me chasser parce que j'ai atterri sans avertir ? Je ne pense pas. En tout cas moi, je ne le ferais pas. Au contraire. Une triple buse qui se fait coincer MTO au dessus de ma prairie recevra le gîte et le couvert le temps de pouvoir repartir. Sinon, on arrête toute vie en société et on sort les calibres.
Ma seule condition initiale, mon postulat de base est de n'être pas pressé. J'arriverai quand j'arriverai et préviendrai le vendeur si je ne peux arriver. Si j'échoue, si je perds une ou deux journées, la planète continuera de tourner. Seules ma chienne -et accessoirement ma conjointe- seront privées de ma présence... ou se réjouiront d'un moment de tranquillité.
Pour les curieux, j'ai essayé l'ULM monoplace qui m'avait conduit jusque dans le Doubs et ne l'ai pas acheté. Il était super, très bien construit, idéalement équipé... mais ne correspondait pas mes attentes.
Après une nuit de sommeil dans le dortoir de l'aéroclub de Fournet-Blancheroche (un endroit génial qui mérite la visite, avec une population agréable, accueillante et très beaucoup majoritairement suisse), sonne l'heure du retour.
La météo du jour (ciel clair, température en baisse) m'offre deux options : jardinage comme la veille ou vecteur en mode commercial. Y'a bien une couche intermédiaire, mais fragmentée et peu occultante.
Partant de 3000 ft, je suis bien tenté de faire une ''DTH'' (direct to home) en niveau de vol. Mais...
Mais la température s'est refroidie par rapport à la veille. Voler haut me ferait voler froid, car déjà il fait froid en bas, très froid, avec des zones enneigées. A tort ou à raison, je pense que voler haut est propice à un risque de givrage augmenté, vu l'humidité, la température de l'air et celle du point de rosée. Je n'arrive pas à décorréler l'altitude de ce risque, pour l'avoir expérimenté plusieurs fois.
Ceci concourt à me faire opter pour une autre solution : voler pas trop haut, un poil sous la couche, mais pas trop bas pour bénéficier du vent qui me fera gagner du temps et du carburant. Du coup, je choisis mon heure de départ de manière à ne pas prendre le soleil en pleine poire, mais également à bénéficier du flux porteur.
Donc, moins de zig-zag, mais toujours un regard sur les pistes de repli éventuelles.
Bien entendu, le Sud Morvan se pare d'une jolie nappe de brume qui m'oblige à un contournement austral. C'est habituel et ceux qui volent dans le coin connaissent la blague. On y a décroché un ulmiste expert en accrobranche quelques années plus tôt, et d'autres malheureux ne raconteront jamais leur dernier vol morvandeau.
Puis retour sans plus d'incident que la veille.
J'ai réalisé une balade ordinaire extra. Onze cent kilomètres composés d'une multitude de petits vols, à peine plus étendus que des tours de piste. En toute décontraction, car sans impératif, sans crainte de rester bloqué.
Je m'étais conditionné mentalement à accepter des retards, de l'inconfort, afin de ''tenter'' de mener à bien la ''mission'' que j'avais programmée. J'avais accepté d'avance l'idée d'abandonner si la météo devenait compliquée ou dangereuse.
Et j'aurais certainement rebroussé chemin si j'avais appréhendé ce voyage comme un unique segment. Ce qui m'a fait poursuivre, c'est justement l'idée que chaque kilomètre parcouru me rapprochait d'un aérodrome tout proche où je serais en sécurité.
Un peu comme un marcheur qui totalise ses foulées... Une par une il se rapproche des cinquante mille que compte un marathon. Mais le marcheur sait qu'il peut à tout moment s'arrêter pour se reposer, pour éviter la blessure.
Notre discipline se distingue des autres en ce sens que l'arrêt est conditionné à une procédure complexe imposant une infrastructure adéquate. Alors se préparer à chaque instant à interrompre le vol est selon moi une façon habile de voler loin -en sécurité- quand les conditions sont susceptibles de changer.
Ce voyage ordinaire extra m'a peut-être plus appris que quantité d'audacieuses traversées de France réalisées autrefois.
Comme dit Gilou, philosophe-diéséliste et psycho-chaudronnier :
Un long chemin inquiète parce qu'on n'en voit pas le bout ; alors que chacun de ses segments rassure parce qu'on connaît sa fin en découvrant son début. (mais il dit aussi beaucoup de conneries).
Bons vols, beaux vols,
Miguel Horville
Une météo compliquée n'incite pas à voyager, mais autorise de brèves escapades... qui mises bout à bout forment un joli voyage.