La liquidation de la société Hélice (Arplast) a été prononcée le 29 avril 2015, laissant sur le carreau des employés, un dirigeant et des centaines de clients qui devront, à terme, ré-investir dans un nouveau matériel.
La mort d'une entreprise laisse toujours un goût amer, a fortiori si cette dernière est française. C'est du moins ce que je ressens, quand bien même j'ai eu des mots avec son dirigeant.
Chercher à en comprendre la ou les causes permet de s'enrichir d'une leçon de plus. Si on est un peu éveillé, on s'approprie l'expérience pour ne pas la répéter ou pour avertir un tiers.
Dans le cas de Arplast, deux événements l'ont notoirement mise en difficulté. Deux décisions de justice. D'abord un licenciement prohibitif (selon son gérant) qui a conduit à sa mise en redressement judiciaire en novembre 2013, puis la condamnation à verser d'énormes compensations pour dommages.
Si le premier jugement trouve sa source dans un différent entre associés tranché par une chambre sociale, le second est le fait d'une chambre civile dont on sait que les compétences techniques se fondent sur les conclusions d'experts plus ou moins inspirés.
Ainsi, après une décennie à ferrailler avec la justice, d'ordonnance en première instance, de jugement en appel, d'appel en cassation... deux enseignants blessés dans un accident d'avion type CNRA incriminant un défaut d'hélice ont obtenu le 4 mars 2015, la somme de 86 000 euros de la société Arplast (déjà placée en redressement judiciaire) en réparation de dommages subis et de frais de procédures.
Sans rentrer dans le détail d'une longue histoire, Guy et Jacques, constructeurs amateurs, ont changé le moteur et l'hélice de leur Pottier 180 S en 1999. Après deux ans sans ennui, ils perdent une pale d'hélice en septembre 2002, ce qui entraîne un accident, blessant les deux pilotes.
Un premier expert affirme que la responsabilité des constructeurs est entière, et ne retient aucune faute de la part de l'équipementier.
Un second expert infirme ce constat et apporte un éclairage de nature à incriminer l'hélicier.
La justice suit finalement ces nouvelles conclusions et condamne Arplast Hélices à payer des dommages.
Jusque là, rien d'extraordinaire... une justice qui statue dans les opposés... des experts qui se querellent... des avocats qui se gavent ; vu, revu et archi-vu.
Cette histoire, au demeurant malheureusement banale, bien que tragique pour les employés qui perdent leur emploi conséquemment, cette histoire donc, apporte de nombreux enseignements qui se concentrent autour du concept de responsabilité.
D'abord la responsabilité des professionnels qui vendent des produits dont l'usage peut ouvrir sur un risque, et donner lieu à plusieurs interprétations dudit risque.
Il y a d'un côté ceux qui l'assument, de l'autre ceux qui le contestent, et au milieu ceux qui n'y pensent pas, du moins pas encore.
Contester sa responsabilité de professionnel est une chose. Le faire dignement en est une autre. Quand un professionnel vend un matériel, étant clairement établi que ce matériel ne répond à aucune certification, qu'il est testé dans des conditions normales d'utilisation (entendez ''usuelles''), que d'autres conditions peuvent conduire à sa rupture et qu'on se dégage de toute implication en ce cas, c'est propre, digne et carré. Mais cela n'empêche certes pas un avocat de tenter d'indroduire le doute et à la justice de prendre une décision diagonale.
On peut aussi entamer une vocalise nauséabonde. Ainsi l'indigeste lecture des attendus du pourvoi impliquant Arplast fait-elle ressortir du défendeur que l'hélice incriminée ''destinée aux ULM'', n'est pas conçue pour un usage aéronautique, raison pour laquelle le fabricant ne peut déceler le défaut... de ce produit.
Qu'un avocat affirme une telle ineptie sans trembler des paupières, ça se comprend ; des années à mentir, ça autorise certaines audaces. Mais balancer une telle allégation lors d'une audience impliquant un équipementier tel qu'Arplast, c'est du foutage de gueule. D'ailleurs, le défendeur sévèrement retoqué par les juges doit peut-être sa condamnation au procédé, par ailleurs totalement démonté par les demandeurs, qui ont apporté la preuve que Arplast fabriquait bien des hélices pour aéronefs, et non des objets de décoration.
Et en ce sens, l'hélicier ne détient pas la palme de l'hypocrisie. Quelques motoristes, divers fabricants de tissus d'entoilage, des producteurs de logiciels aéro, de GPS, voire d'EFIS, écrivent en petit, tout en bas, que leurs produits n'étant pas destinés à un usage aéronautique, il ne seraient tenus pour responsables des calamités qui résulteraient d'un dysfonctionnement...
Le côté des plaignants maintenant. Ces deux enseignants en lycée professionnel, théoriquement fondés à ne pas agir à la légère, représentants l'institution intelligente, gardiens de valeurs d'excellence, spécialistes de la doctrine enseignante, experts en paperasserie protectrice et en boucliers administratifs (comme le prouvent leurs recours en justice), ces messieurs donc, ont choisi un matériel non certifié pour faire voler leur aéronef. Ils se sont contentés d'un matériel au rabais et n'ont pas réclamé le rapport d'étude de comportement au regard des phénomènes vibratoires... (dixit).
Des dilettantes, en quelque sorte ; aussi bien des amateurs en construction aéronautique. Je frémis à la pensée que ces gars-là enseignent la technologie ou quelque matière que ce soit à nos gamins, vu qu'ils sont incapables de réaliser un choix judicieux pour équiper un avion avec lequel ils volent... Mais ceci est une autre histoire.
L'expertise pour finir. Un premier expert apporte des conclusions techniques suivies par une cour de justice de première instance, puis une cour d'appel. Le constat est intuitivement logique, en ce sens que tout mécanicien aéronautique, certifié ou non, reste convaincu qu'un pourcentage élevé des problèmes d'hélices, notamment en rapport aux pieds de pales sur des moteurs non réductés, provient de la qualité du serrage ou d'un manque de contrôle.
Mais arrive un second expert dans le cadre du pourvoi en cassation, qui lui voit les choses autrement, à l'opposé exact de son collègue. Outre que la crédibilité de spécialistes près les tribunaux en prend un sérieux coup, il propose un constat à charge contre la société Arplast, excluant toute faute de montage (donc défaut de serrage), ce qui semble très engagé en l'espèce. Bref, il dresse un réquisitoire de nature à condamner l'enseigne.
En résulte l'ultime décision de justice décrite plus haut, qui condamne définitivement Arpast à la faillite.
Cette affaire m'inspire plusieurs réflexions.
D'abord, ne s'improvise pas constructeur aéronautique (même amateur) qui veut. Surtout pour s'aventurer vers des voies novatrices dont on ne maîtrise pas les conséquences (choix de matériel entre-autres). Un bon constructeur aéro' suit des schémas connus ou, s'il veut innover, prend moult précautions, renseignements, et surtout s'enquiert des données techniques des matériels utilisés. En l'absence, il reporte son choix sur d'autres matériels. S'il n'est pas capable d'appréhender l'ensemble des données techniques, le bon constructeur doit se faire aider.
Pour en revenir à notre cas, en effet, choisir la bonne hélice n'est pas une chose anodine. Mais c'est le lot de centaines de constructeurs amateurs, qui n'ont pas tous perdu des morceaux d'avion en vol... Comment ont fait les autres ? Sont-ils plus chanceux, ou simplement moins audacieux ? En optant pour l'hélice lambda qui fonctionne depuis toujours, on suit un chemin exempt de surprise.
Au plan judiciaire, cette décision retient principalement un manque de suivi d'information (suite à des incidents antérieurs). Elle écarte le fait que l'hélice incriminée n'était pas certifiée mais concentre sa réflexion sur l'aspect technique de cette hélice, mauvaise ou inadaptée, reportant la responsabilité sur l'équipementier qui n'a pas réalisé les tests nécessaires à l'encadrement de son utilisation.
Pour faire simple, la justice commet le flou entre matériel certifié et non certifié, de sorte qu'on ne comprend plus où se trouve la frontière, notamment celle des responsabilités.
Enfin au plan moral, la démarche des demandeurs me trouble. Je sais qu'il est désormais de bon ton de chercher des responsables pour tout. De même, fuir ses propres responsabilités* est devenu un mode de pensée commun. Dans un paysage hyper judiciarisé, en rajouter une couche semble naturel.
Et pourquoi se gêner, puisque les juges suivent généralement les demandeurs, au motif qu'il est, là encore de ''bon ton'', de faire casquer aveuglément les sociétés au profit des pôvres consommateurs, même quand ces derniers sont aussi cons que sommateurs.
Il serait sage que notre système arrête de finasser avec la dialectique et ose nommer les choses. Un matériel certifié engage la responsabilité de son fabricant qui se retranchera derrière une méthodologie de montage pour en assumer les termes, également celle de l'autorité qui accorde la certification. Un matériel non certifié ne doit engager la responsabilité de son fabricant que dans le cadre d'un contrat de responsabilité (à l'image de la garantie).
Demandez à Rotax d'assumer les os cassés d'un pilote qui a mal géré la panne d'un moteur non certifié... J'en ris d'avance.
La formule ''...décline toute responsabilité...'' doit être admise par l'autorité comme une mise en garde légale. Libre aux acheteurs de décliner une offre ainsi libellée. Il me semble que des individus capables de lâcher mille, dix mille, parfois cent mille euros dans un matériel aéronautique ou non, sont en mesure de lire un document de ce type... Sinon, retour à la maternel pour tout le monde et interdiction de toute chose jusqu'à obtention du permis de vivre.
Car enfin... où se trouve le bon sens dans tout cela ?
Bons vols, avec prudence.
Miguel Horville
* Dans notre cas celle de construire, détenir et utiliser un aéronef non certifié avec les risques qui en découlent.
** Lire les comptes-rendus du jugement
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