Nous sommes un mercredi de janvier ensoleillé, une matinée calme sans vent, peu humide et chaude. L'occasion de réaliser encore un vol merveilleux. Et parce que c'est janvier et que c'est la coutume, je décide de prendre de bonnes résolutions.
Aussi, parce que me bonifier est une obligation morale, je décide en cette nouvelle année de voler plus droit, plus rigoureux, plus sage et plus légal que par le passé.
Assurance checkée, carte d'identification à jour, LSA opérationnelle...
ULM révisé, carburant remplacé...
Reste à jeter un oeil sur les publications aéronautiques et je pourrai m'envoler.
Parce que OUI ! Pour 2020, je décide de consulter les publications avant chaque vol : messages aux navigants aériens (ou NOTAM - NOtice To AirMen), publications d'information aéronautique (ou AIP - Aeronautical Information Publication) et suppléments aux AIP (SUP AIP).
Ajoutons à cela une préparation météo approfondie : carte TEMPSI (TEMps Significatif) ; puis la WINTEM (WINd and TEMperature) ; l'observation METAR (METeorological Aerodrome Report) ; les prévisions TAF (Terminal Aerodrome Forecast) et GAFOR (General Aviation FORecast)... En vol, je m'informerai des phénomènes SIGMET (SIGnificant METeorological Information).
Bref en 2020 je vais faire péter de l'acronyme en mode fayot premier de la classe !
Et s'il subsiste un doute, je questionnerai en vol la gentille nana, ou le poilu mec du SIV (Service d'Information en Vol) pour blinder le truc.
J'oubliais... penser à téléphoner à toutes les zones activables pour connaître leur état d'activation. A moins que je demande à la GN ou au PM de me rencarder en route... Ouais, je ferai ça. Tout ça sans rien omettre.
Bon... Mais si je veux décoller vers 15 heures pour ma petite virée, je n'aurai pas trop de la matinée pour préparer le chantier !
Car il s'agit bien d'un chantier, que je m'apprête à lancer. Le service de l'information aéronautique (SIA) ayant été particulièrement prolifique ces derniers temps, avec la constance épistolaire prolixe qu'on lui connaît. Du coup, ce ne sont pas moins de 6 SUP AIP que je dois télécharger.
Et alors que je lis studieusement les documents, l'un d'entre-eux me propulse dans un abîme de perplexité. Il dit précisément que je ne dois pas survoler le point machin, et d'en donner la géolocalisation par un unique point GPS.
Sauf à imaginer un faisceau laser dardé vers le ciel qui couperait mes ailes, je trouve l'information surprenante. D'autant que le blabla accompagnateur explique que la restriction concerne le coeur du parc national de forêts, entre Chatillon-sur-Seine LFQH et le VOR de Rolampont RLP, de la Côte-d'Or à la Haute-Marne.
Et d'accompagner cela d'un joli dessin représentant une métastase d'environ 45 km d'Est en Ouest et 35 km du Nord au Sud.
Une tâche plus grande que certains pays ; les cibles forestières patrimoniales connues couvrant une surface de 6175 hectares... Mais admettons.
La restriction concerne une hauteur minimale de survol pour la CAG qui n'a pas de mission particulière. Bref les glandus papillons comme bibi.
Pour finir, les dispositions particulières du document renvoient sur le site du parc national des forêts d'Arc-en-Arbois.
Heu... ne sortirions-nous pas un peu du cadre aéronautique ?
Mais bon ; si mes bonnes résolutions doivent passer par ce tortueux chemin, alors amen...
Je charge donc le document PDF de 3 Mo totalisant 100 PAGES ! Bigre... J'suis pas prêt de décoller.
Mais dans son infinie mansuétude, le SIA précise quel article et quels alinéas je dois viser. Alors je lis... Et ce que je lis n'est autre que le blabla du SUP AIP autrement mis en page. Ce faisant, j'apprends que l'épinette dorée enfourche le chouchou des indes au printemps et que la galinette poivrée cogne sur le système des frugivores locaux.
Comprenant que mes bonnes résolutions de 2020 me conduiraient à ne pas m'envoler avant le milieu de la nuit, tant la documentation est riche et complexe, j'erre un moment sur la toile à la recherche d'une vidéo de chaton pétant les noix d'un labrador.
J'en trouve une dizaine, mais c'est un forum de pilotes professionnels qui attire finalement mon attention : il s'y dit notamment que la charge de travail pour la collecte et l'analyse de la documentation aéronautique OACI devient particulièrement chronophage pour les commerciaux. Certains expriment le risque de rater une information importante dans la masse d'informations secondaires, voire inutiles (trop d'info tue l'info).
Je n'y connais rien en préparation de vol commercial, mais quand je vois le volume de documents que je dois m'infuser pour un petit vol en ULM, j'ai idée que les ''vrais'' pilotes ne doivent pas se marrer tous les jours à décortiquer des pages de blabla indigeste.
Après un douzième café, j'attaque l'aspirine pour stopper une migraine en devenir. Je commence à plus trop le sentir, ce petit vol en ULM... Pas encore en l'air que j'ai déjà envie d'aller pioncer.
Suite à quoi j'attaque la météo. Si on excepte les acronymus merdicus qui ne veulent pas adhérer aux parois nauséeuses de mon bulbe saturé, je lis en diagonale que tout est propice à voler cool. Et en dépit du filigrane CAVOK sous-jacent, je titille les TAF et vise un spectre large, because l'ULM sert à tout sauf à voler droit. Au final c'est tout bon.
Sauf que... passant étourdiment de la fenêtre Windows à celle de mon bureau, je constate que le ciel a changé depuis que j'ai plongé le nez dans l'ordi. Maintenant il ne ressemble plus à celui de ce matin, et surtout pas non plus à la description faite par les METAR. Serait-ce une anomalie locale de mon carré d'espace ?
Pour en avoir le coeur net, j'appelle Lewis, un voisin anglais qui tord un ULM par an parce qu'il n'a pas encore compris qu'en France on vole à droite.
- Hi Miguuuuel, how vas tiou ? It's draching glouglou here !
Je le crois pas ! Pas une fois je n'ai lu le mot éparse dans les bulletins. Pas un seul UP DZ RA SH local. Il fait beau partout sur l'ordi, mais pas atome de me et environs voisineux.
Ben vous savez quoi ? J'abandonne !
Les bonnes résolutions, ça encombre, mais ça ne fait pas voler. Je décide donc pour 2020 de ne rien changer à avant. Continuer d'être heureux et pauvre ; aimer ma charmante compagne ; voler comme un zinzin en m'informant de l'essentiel sans me casser le tronc avec le superflu. Ce sont mes nouvelles bonnes résolutions et je m'y tiendrai comme je m'y suis toujours tenu.
Bon sang de bois... je virevolte en ULM, je ne prépare pas un lancement de la NASA !
Bons vols, en finesse, en souplesse et en sécurité avec une minutieuse préparation.
Miguel Horville
Lire le SUP AIP 343/19
Extrait de la Charte du Parc national de forêts