Membre respecté du parti N.U.L.O.S, Jean Fouille a mal dormi. Il est agacé par un article paru dans la presse locale, accompagné de photos qui prouvent une énième corruption. Bon, la justice lui est acquise, mais quand même, il ne pensait pas que piquer le blé du parti et des administrés pouvait gêner quiconque, surtout cette populace graisseuse qu'il a récemment honoré d'un discours pour l'inauguration d'un square entre la bretelle du Périclo et l'ancienne usine chimique... Cet article l'a mis de travers. Et puis ces derniers temps, au Parti, on ne brille pas par les idées ! Pas un projet de Loi, aucun décret... rien qui n'ait eu les faveurs du Perchoir. Décidément, ça craint. Oh certes, il lui reste ses émoluments ; sa retraite dorée, ses défraiements exorbitants et quelques cartes truquées. Mais ce n'est pas ça qui le fait bander. Ce qu'il voudrait, le pinacle de sa carrière, serait une Loi portant son nom. Pour sa famille, pour ses amis, ça ferait briller sa rosette et il serait super content. Mais pour l'instant, Jean a mal à l'âme ; il se torture l'esprit à organiser SON avenir et rien ne lui vient en aide. En plus, il pleut... Putain de journée pourrie ! Il monte dans sa caisse de seigneur avec chauffeur et file à l'assemblée.

Pendant ce temps, Abélard Naque quitte sa baraque cossue du Vésinet. Ce faisant, il engueule sa bonne-femme suite aux fantaisies de leurs mômes, branleurs de première, qui ne lui apportent que déception ! Faut dire qu'il est servi, avec sa progéniture... L'aînée se déguise en pute pour suivre ses cours, quand elle les suit ; et son cadet s'envoie dans le cornet tout ce qui se fume ou se renifle parmi les substances illicites. La nuit dernière, il a retrouvé son merdeux au commissariat. Il a dû agiter sa cocarde pour faire libérer son abruti de gnome qu'avait de surcroît insulté les képis. Bref, lui aussi part au boulot avec des aigreurs au ventre et une sérieuse envie de changement...

Les deux sbires sont donc dans leur caisse, coincés dans la circulation à ruminer leurs futures perfidies tout en écoutant Radio-ragot au poste. D'un coup, le speaker lance l'info du jour, celle qui illumine les mornes rédactions, embrase l'AFP et masque les saloperies de la classe politique : un ULM s'est crashé... 1 mort. Abélard sursaute ! Justement la semaine passée, il en parlait avec ses potes, lors d'une chasse aux pinpins. Ils fustigeaient de concert ces connards bruyants qui survolent leur paisible bruyère, jugeant qu'on a pas idée de s'élever dans les airs alors qu'il tellement plus entendu de s'élever dans la société. Bref, les avions commencent à leur gonfler les sacs à vie. Sous-entendu, entre le bruit et les odeurs, ces joyeux assassins n'aiment pas qu'on pollue leur environnement qu'eux seuls s'autorisent à crader de douilles et canettes vides. De son côté, Jean réfléchis à l'IDEE qui le ferait sortir de sa léthargie politique. Cette info le fait turbiner...

Arrivés à l'assemblée, les deux zigs se congratulent faussement, meilleurs amis d'ENA, mais toujours prêts à se poignarder pour une brève au JT ou une servilité au dieu élyséen. Leurs échanges creux portent sur l'ultra-léger raplapla : comme quoi ces trucs ne devraient pas exister, que c'est tristouille pour les familles (qu'ils ont déjà amenées au désespoir à coups de décrets et de Lois scélérates), qu'on devrait interdire ces machins qui peuvent à tout moment s'écraser sur la tronche de pauvres gus ou pire, sur leur tronche à eux... Interdire... TILT ! L'idée magique. Le recours habituel aux tourments des politiques en mal d'inspiration. INTERDICTION... LE mot salvateur qui préserve de tous les maux. Bon... Il faudra amener ça en douceur. Finasser avec les potes de l'assemblée. Utiliser des médias dociles pour persuader les ''gens'' qu'il en va de leur survie ; le bon peuple est si con, si manipulable... Surtout pas se faire piquer l'idée par un autre salopard des bancs. Parce que ENFIN Jean Fouille (à moins que Abélard Naque ne le prenne de vitesse) ENFIN une de ces fripouilles va écrire SA LOI. Laisser son empreinte dans l'histoire. Il le sent bien, ce coup-ci. Sa famille sera fière de lui. Il bandera de nouveau comme s'il était une vraie personne. Sa femme écrira un best-seller sur ''comment-mon-mari-a-sauvé-des-gens'' , édité par un pote redevable et plébiscité par une presse rampante, et tout le monde oubliera l'annectode au prochain scandale politique.

Tout le monde, sauf une vingtaine de milliers d'imbéciles volants qu'avait juste oublié que pour rester libre, il faut être discret.

Cette fiction, nous l'avons vécue en vrai, à de multiples reprises. Pas forcément dans l'aéronautique (encore que...), mais dans de nombreux domaines, notamment l'automobile. Alors ne croyez pas qu'elle soit une histoire drôle. Les politiques n'ont d'humour que pour cacher leur infâmie... ou leur incompétence.

Bons vols, prudence et discrétion.

Miguel Horville