En décembre 2013, suite à l'annonce fracassante d'Amazon d'assurer la livraison de certains colis au moyen de drones, j'articulais mon édito de décembre 2013 sur le glissement sociétal qui résulte de la destruction créatrice, mot presque poétique, toutefois synonyme de chômage et de misère. Qu'il s'agisse d'un fake publicitaire, ce dont personne ne doutait, ne changeait rien à l'analyse qui s'ensuivait et qui visait à rester en éveil face aux fausses belles idées qui pourraient assombrir notre avenir si nous n'y prenons garde.

Sans doute fatigué par la lecture, se référant sans profondeur à la première partie du texte, un aréopage d'intelligents a choisi de statuer sur ma naïveté plutôt que sur le phénomène de société sus-cité...

Ces remarquables cerveaux n'avaient pas compris que mon questionnement s'intéressait davantage à une vision de la vie qu'aux livraisons héliportées.

Tantôt condescendants, ironiques, quand ils n'étaient pas insultants, les courriers que j'ai reçus (et publiés dans la rubrique ''courriers'') suite à cette publication ont montré à quel point certains lecteurs ont la dent dure quand ils croient avoir compris une évidence et pensent être seuls à opérer cette fulgurance.

Mais aujourd'hui... Où sont ces visionnaires et leurs railleries moqueuses ? Suis-je subitement devenu sourd ; je n'entends plus leur persiflage ?

Ma messagerie est-elle en panne ; elle ne déverse plus leur malice par kilo-octets ?

Dites, monsieur Jean-René Chevalier, ou quel que soit votre nom véritable : qui est le rigolo ? Celui qui, plus bête qu'un enfant de 5 ans, n'a pas compris tout seul qu'Amazon avait lancé une bonne blague, ou celui qui avait très bien compris que cette annonce avait une teneur réelle et qu'elle préfigurait notre actualité ?

Et vous, cher Dominique Laurent, grand visionnaire, qui m'avez jugé naïf (doublé d'un sombre idiot) de croire que des drones livreront un jour des colis... Rappelez-moi de me moquer de vous à chaque occasion !

Et oui... le doute s'évapore devant l'inéluctable réalité : des drones livreront à terme des colis. Ils en ont la capacité ; ils en ont la finalité ; on vient de leur en accorder l'autorisation (voir vidéo plus bas).

Et mieux encore... ILS LE FONT DEJA ! N'en déplaise aux génies qui n'ont pas compris tout seuls que l'avenir est inexorablement tracé.



Vendredi 24 septembre 2014, un drone ''Paketkopter'' de DHL (filiale de Deutsche Post) a effectué une livraison de médicaments sur l'île de Juist en mer des Wadden, depuis le port de Norddeich. Une ''course'' autonome (hors du champ de vision de l'opérateur) de 12,5 km (distance entre l'île et la côte allemande) réalisée sous surveillance et pouvant à tout moment être reprise en contrôle manuel. L'autorité allemande a donné son feu vert au transporteur pour accomplir ce premier vol ''commercial'', ce qui pose deux questions : qu'en est-il de l'harmonisation européenne des réglementations si chaque pays continue à réguler à sa guise sans concertation avec les autres membres de l'UE ? N'assiste-t-on pas à une forme de dumping d'état en faveur d'un entreprise teutonne en concurrence avec Google et Amazon sur un segment très convoité ? Car s'il ne s'agit pour le moment que d'une expérimentation, DHL prévoit de mettre en place des vols réguliers et de livrer des médicaments ou du matériel d'urgence.

Donc non ; l'annonce d'Amazon de décembre 2013 n'était en rien un canular, elle était seulement prématurée. Car il est désormais acquis qu'Amazon travaille sur la question depuis longtemps, dans ses propres installations ou en dehors du territoire américain, et que Google expérimente des solutions en Australie. Nous sommes très proches de la livraison par drone ; d'ailleurs l'Amérique s'apprête à publier une réglementation pour les drones commerciaux emportant des charges de plus de 3 kg (actuellement la FAA n'autorise ces vols qu'en Alaska).

Dernière précision qui corrobore ce qui est le plus à craindre : selon les responsables marketing de DHL, la livraison par drone représente une vraie alternative aux ferrys et aux hélicoptères... Nous y sommes. L'édito qui a fait couler tant d'encre prédisait très exactement ce que cette phrase résume : là où un humain peut légitimer son salaire, un robot peut lui ravir l'emploi !

C'était tellement évident que j'ai résisté aux savants qui m'invitaient à retirer l'édito de décembre 2013. In fine, les moqueurs auraient été, quant à eux, mieux inspirés de se faire livrer un cerveau par drone ou par tout autre messagerie, que de polluer la toile de leur vindicte acide. Maintenant, ils la bouclent, ce qui permet aux gens normaux de se concentrer sur l'évolution du monde..

Comme dit Gilou, philosophe-dieséliste : laissons causer les cons... pendant ce temps ils n'agissent pas.

Bons vols, avec prudence.

Miguel Horville