Il y a aimer et aimer. Le philosophe Leibniz en donnait cette définition : ''Aimer, c'est trouver plaisir au bonheur d'autrui''. J'aime bien cette pensée. J'y adhère. Je considère également que donner du bonheur à celui ou celle qu'on aime est un devoir. Je pense aussi qu'il faut accepter que l'être chéri profite de toute joie, même isolément.

En revanche, je déteste qu'on aime en égoïste. Qu'on impose l'idée du bonheur. Pareillement pour un humain que pour un chien, ou toute existence qu'on dit aimer.

Ainsi ai-je tenté de faire comprendre à un condisciple ulmiste que son poilu devait souffrir l'enfer dans le cockpit de son multiaxe.

- Mais pas du tout ! Il est heureux d'être avec moi en l'air ! Il roupille la plupart du temps, preuve que le bruit ne le dérange pas ! En plus il est un peu sourd...

Le clébard de base voue un amour sans limite à son maître. Son regard exprime une vénération mêlée de soumission. Que le maître soit le plus sympa du monde ou la dernière crevure, son chien lui est fidèle et dévoué. On peut tout demander au chien qui nous est attaché. On peut le maltraiter, le battre... il restera notre esclave en amitié. Parce que le chien est ainsi fait. Pour rester près de son maître, le chien peut subir des nuisances qu'on jugerait insupportables. Imaginez être chahuté dans un shaker incompréhensible à la stabilité douteuse et au vacarme assourdissant...

Et pourtant, le copain pilote aime son chien... à sa manière. En cela il me rappelle ce mec, très amoureux de sa compagne, qui de temps à autres lui collait une avoinée... pour un comportement inadapté, pour une bière de trop, pour une idée sotte... Sans prétendre que corriger une femme soit dénué de fondement (cela peut même se révéler très ludique), l'acte s'éloigne singulièrement de la prime définition de l'amour. Le propos également d'ailleurs.

Pour en revenir au canidé de notre ami, il partage les vols dans un magnifique ULM composite, sans la moindre protection auditive, au motif que le bruit ne le dérange pas et que de toute manière il est à moitié sourd... Dites... La charrue ne serait-elle pas passée devant les boeufs ? Poil-poil ne serait-il pas devenu sourd consécutivement à une exposition prolongée au Rotax Philharmonic Orchestra ? Ne dort-il pas pour s'épargner le stress du vol ?

Sans être diplômé d'une l'école vétérinaire, je pressens bien l'abrutissement qu'a subi Toutou 1er. Un chien est un humain comme les autres... Il apprécie le calme, une vie tranquille, certes auprès de son maître, mais pas forcément dans tous les environnements de celui-ci. Une balade en forêt, une séance de jeu, une soirée devant la cheminée le remplissent de bonheur. Rien à ficher d'une interface volante à cent mille euros. Sa joie est simple... une présence... une caresse. Et l'aimer, c'est le mettre en joie.

Parmi les sensations bizarres auxquelles le chien est exposé, le bruit est facteur de stress et de lésions. En effet, son ouïe possède une acuité particulière, capable de percevoir des ondes sonores de 50 000 vibrations par seconde (hertz), quand celle de l'homme ne dépasse pas 30 kHz. Un son de faible intensité, qui n'est plus perçu par l'homme au-delà de 4 mètres de distance, est entendu par le chien jusqu'à 25 mètres. La sensibilité auditive est la faculté qui permet de différencier sans les confondre des sons se succédant très rapidement. C'est grâce à elle que le chien, malgré le bruit qu'il fait lui-même, peut reconnaître le pas d'un autre animal. Le principe de l'audition est similaire à celle de l'homme : les vibrations du tympan sont transmises par la chaîne des osselets au limaçon, dans lequel est situé l'organe de Corti, récepteur nerveux des sensations auditives. L'audition est liée à l'intégrité de cet appareil et les chiens qui ont les oreilles tombantes entendent aussi bien que ceux qui les portent dressées. Et comme chez l'homme, une surdité peut être provoquée par une exposition aux émissions sonores de forte intensité.

Donc si réellement votre fidèle compagnon doit voyager en ULM (ou avion, c'est kif-kif), il est possible de protéger ses oreilles avec un dispositif adapté (voir Mutt Muffs de EPI3D - laboratoire français).

Par ailleurs, le chien, aussi bien dressé qu'il soit, peut agir de façon surprenante, imprévue et désordonnée. On imagine sans peine le désordre que pourrait occasionner un chien affolé dans un cockpit. Un désordre pouvant conduire à un accident. La seule parade est d'attacher le chien de manière à ce qu'il ne puisse pas atteindre les commandes. Ce qui signifie le saucissonner, car contrairement à un humain, le poilu peut opérer des contorsions extrêmes.

Voyez l'inconfort de mister Toutou, coiffé d'un casque et ficelé comme un rôti. De quoi réfléchir à deux fois avant de l'emmener voler.

En fait la bonne question à se poser est la suivante : si le chien est capable de supporter un calvaire par amour pour son maître, le maître est-il capable d'assez d'amour en retour pour trouver plaisir au bonheur terrestre de son chien ?

Bons vols, avec prudence.

Miguel Horville